Souvenirs relatifs aux carrières de grès

En flânant sur le web, nous avons découvert le blog d’André Marchal, natif de Poulseur. Nous y avons trouvé ce document écrit par sa Mère dont le propre père était ouvrier carrier vers 1920.

Les photos couleur qui illustrent ce texte ont été réalisées par VINCENT DUSEIGNE, dans une carrière souterraine de grès dans la région de Comblain-au-pont. Vous obtiendrez plus de renseignements, ainsi que d’autres photos époustouflantes sur le site de l’auteur : tchorski.morkitu.org

Souvenirs relatifs aux carrières de grès

L’exploitation des carrières de grès, après la guerre de 1914 -18, est l’époque où, malgré mon jeune âge (sept ans), j’ai commencé à observer et à retenir bien des choses. Mon père était ouvrier carrier, plus précisément, mineur. Son métier était très dur car alors tout travail se faisait à la main.

Il allait chercher les explosifs, qu’il portait sur son dos. Chef mineur, il était responsable pour le transport de ceux-ci. Le jeune manoeuvre qui l’accompagnait se chargeait des cordages et des cartouches. Papa allait ensuite « peigner » le rocher pour éviter toute chute de pierres. Des accidents pouvaient se produire plus d’une fois, vu qu’il y avait des ouvriers en contrebas.

Quand le rocher était nettoyé, papa faisait un bâti* pour y déposer la charge. (* fers enfoncés dans le rocher et recouvert de fagots de bois, de genêts, etc, afin que les pierres qui auraient pu tomber, fussent arrêtées par ce « plancher »). Afin de prévenir les autres ouvriers, il annonçait avec une corne que la mine allait sauter. Le son de la corne signifiait donc: « Mettez-vous à l’abri ! ». Quand l’explosion avait réussi, les ouvriers qui s’étaient cotisés buvaient la goutte (le patron n’était pas très généreux quoique les carriers avaient l’obligation de se ravitailler chez lui).

Les équarrisseurs prenaient les gros morceaux et y foraient des pétards pour les diviser. Venaient ensuite les refendeurs, puis les coupeurs qui façonnaient les moellons à bâtir et les pavés de rues. Les manoeuvres chargeaient alors les déchets dans les bennes et les conduisaient aux remblais. Les « bègnons », tirés par deux chevaux, arrivaient. Les conducteurs s’occupaient du chargement des produits finis. Ils étaient parfois secondés par leur femme ou l’aînée de leurs filles. Le chargement des moellons à bâtir arrivait « sur » la gare, car Poulseur était une station de triage. Ils étaient ensuite rechargés à tours de bras « sur » des wagons de l’Etat pour s’en aller vers Liège ou ailleurs.

Tout cela pour un salaire de misère! Les allocations familiales étaient inexistantes. Rien n’était quelque peu organisé. A la suite de grèves, les ouvriers ont eu ultérieurement des congés payés. Les syndicats aidant. ils ont obtenu les huit heures, car, précédemment, ils en faisaient douze! Comparativement à la vie maintenant c’était de l’esclavage mais malgré cet état de choses, ils étaient fiers de leur métier.

Puis, sont venus les concasseurs, les buldozers, les camions.

Une plaque tournante de berline dans une ancienne carrière en Ourthe-Amblève.

Les chevaux ont disparu rapidement…

Rien que pour Poulseur et dans les environs, il y avait seize cents à dix-sept cents ouvriers. Ceux qui venaient des Ardennes logeaient chez l’habitant. Quand les ouvriers reprenaient le train le samedi, la place de la Gare était pleine de monde. Les camelots étaient bien représentés. Ils vendaient des portefeuilles, des pipes de terre à 1 fr et à 2 fr., des « cahotes » de tabac, de la poudre à priser, ainsi que des « tchikes di roles » et du tabac à mâcher.

A cette époque, il y avait dix-neuf magasins à Poulseur plus les maisons privées où l’on vendait la goutte (« plats cous ») pour vingt-cinq centimes. Lorsque les ouvriers arrivaient sur le chantier le lundi matin, ils aimaient de raconter des blagues, tandis que les jeunes se racontaient « leur dimanche ». Les gamins de douze ans, dénommés « les mousses » effectuaient de petits travaux. En cachette, ils faisaient aussi les courses des carriers. Avec deux francs récoltés par ceux qui aimaient le genièvre, ils allaient chercher du pèkèt dans un  » coquemar ». Une fois revenus,et, par blague, les adultes faisaient boire les « mousses » à la « bûse ». Il y avait de pauvres foyers victimes de la boisson! Heureusement, la loi sur l’alcool est passée peu après.

La scolarité devint obligatoire et il y eut beaucoup moins de jeunes sur les chantiers. Les grèves se sont multipliées et des maîtres de carrières ont fermé leur exploitation. Des patrons ont dû faire appel à de la main-d’œuvre étrangère. Les premiers arrivés à Sart en 1929, étaient des Italiens. La plupart sont restés « dans le grès » et, actuellement, sont évidemment pensionnés. Les ouvriers de chez nous qui ne voulaient et ne pouvaient demeurer sans travailler sont partis pour Verviers. D’autres sont allés en France pour plusieurs années. D’aucuns ont voulu donner un autre métier à leurs enfants. D’autres parents se sont sacrifiés pour leur faire faire des études.

Les pavés de rues furent remplacés par de l’asphalte, les moellons pour la construction des maisons devinrent beaucoup plus rares, ainsi que la main-d’oeuvre se faisant trop chère. Elles ont été remplacées par des constructions en briques, en bloc ou en béton. Les maçonneries en pierre étaient de petits chefs d’oeuvre car il fallait connaître le « filet », c’est à dire le bon côté de frappe pour faire de beaux parements.

L’auteure concluait :
« Je suis une femme mais cela me fait encore mal de voir tous les chantiers abandonnés. J’étais fière du travail de tous ces ouvriers du grès. » Ce document était signé par Marie Marchal-Huberty (†)

Les ouvriers de l’équipe dont faisait partie le grand-père de Mr Marchal, dans les années ’20.